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Live Japon : nanotechnologies - invisible mais bien vu
Brève Business Informatique Connaissez-vous
le Japan Prize? Il s'agit de la plus haute distinction scientifique
japonaise, accompagnée de la coquette somme de 50 millions de yens
(plus de 400.000 euros), attribuée chaque année par un comité d'experts
nippons et remise aux lauréats par l'Empereur du Japon en personne.
Cette année, le récipiendaire-vedette est un Américain, Dennis L.
Meadows, connu pour ses théories sur les "limites de la croissance",
thèse selon laquelle l'espèce humaine va vite se retrouver dans une
situation critique si certains facteurs physiques limitatifs de la vie
terrestre, comme les ressources naturelles, l'environnement, les
terrains, etc. ne sont pas pris en compte dans les politiques
industrielles et économiques. Cette mise au point date de 1972: bien
vu, mais encore difficilement applicable mondialement, tout nécessaire
que ce soit.
En 2008, ont été primés par le Gotha des sciences japonais les
surnommés "papas de l'internet", les Américains Vinton Gray Cerf,
vice-président de Google, et Robert Elliot Kahn, PDG de l'organisation
pour le développement de technologies CNRI. Un an plus tôt, en 2007, ce
sont les physiciens français Albert Fert et allemand Peter Grünberg qui
s'étaient vu remettre cette prestigieuse récompense des mains d'Akihito
avant d'être également honorés du Prix Nobel de Physique quelques
semaines plus tard.
Si ce rappel est d'actualité c'est pour deux raisons: primo l'auteur de
ces lignes a reçu cette semaine son carton pour assister à la remise du
Japan Prize 2009, le 23 avril. Deuxio, le jour-même elle pensait
fortement à Albert Fert en parcourant les travées du salon Nanotech à
Tokyo, lieu où étaient présentées les dernières innovations liées aux
nanotechnologies et nanomatériaux. Or, on pouvait y écouter des
chercheurs nippons de NEC ou Toshiba vanter les performances des MRAM
(magneto-resistive random access memory, mémoire magnéto-résistante à
accès aléatoire), un type de mémoire vive précisément rendu possible
par les découvertes d'Albert Fert sur les effets électriques de la
magnétisation de couches nanométriques de différents matériaux.
Ce
dernier nous confiait lors de son dernier passage dans la capitale
nippone être surpris par les développements que ses recherches
suscitent chez les industriels locaux grâce à la rencontre entre ses
découvertes fondamentales, la miniaturisation des matériaux et la
précision des procédés de production poussées à l'extrême. «Les progrès
incessants des nanotechnologies vont encore amener beaucoup de choses",
prédit-il. La discipline dont il a ouvert la voie, «l'électronique de
spin" ou «spintronique", exploite le spin électronique (un petit
vecteur porté par chaque électron), pour révolutionner la façon dont
son couchées les données sur un support constitués de plusieurs
tranches nanométriques.
"Ce qui est extraordinaire avec la spintronique aujourd'hui, c'est
l'extension de son champ d'application. Un problème fréquent pour moi
est le choix entre plusieurs nouveaux axes de recherche qui me semblent
tous également prometteurs", explique le physicien. Les résultats de
ses travaux initiaux sur la magnero-resistance géante sont déjà
utilisés pour la lecture/écriture sur des disques durs, d'autres sont
exploités dans ce nouveau type de mémoire, les MRAM, sur lesquelles
planchent ardemment les industriels japonais NEC, Hitachi ou Toshiba,
attirant les regards non moins intéressés de chercheurs chinois et
sud-coréens en quête d'informations.
Sony est également à la pointe dans ce domaine, selon M. Fert. «Les
Japonais sont en avance dans le développement de la future génération
de MRAM car ils ont su exploiter très rapidement les derniers progrès
des nanotechnologies grâce à des efforts industriels et financiers
conséquents", souligne le chercheur.
Une première génération de MRAM a déjà été mise sur le marché en 2006
environ, mais son impact sur la technologie des ordinateurs est jugé
très limité. "La nouvelle génération bénéficie des avancées récentes
qui amènent une façon totalement nouvelle d'écrire une mémoire
magnétique, directement par un courant électrique injecté dans la
mémoire et non pas indirectement par le champ magnétique induit par un
courant", détaille le physicien. Les chercheurs de NEC sont convaincus
qu'il existe là une pépite technique, qui cumule les avantages des
mémoires RAM et ROM (rémanente, basse-consommation, commutation rapide,
etc), sans les inconvénients d'aucunes.
Grâce aux technologies exploitant le spin, il sera aussi possible,
selon M. Fert, de créer un nouveau type d'oscillateurs qui pourraient
avoir des applications importantes dans le domaine des
télécommunications pour générer des ondes à très hautes-fréquences.
Ainsi, ces technologies pourraient être utilisées pour créer un nouveau
mode d'émission des téléphones portables et réseaux cellulaires.
«L'évolution actuelle de la spintronique ouvre de nouveaux champs de
recherche avec des problématiques nouvelles qui concernent aussi bien
l'électronique que le magnétisme ou la dynamique non-linéaire
(évolution non-linéaire d'un phénomène dans le temps - ndlr)", se
réjouit-il.
Cet exemple est un des innombrables cas qui illustrent la différence
entre la recherche française (qui est à l'origine de découvertes
fondamentales exceptionnelles mais qui peine à les exploiter faute
d'industriels prêts à investir lourdement à long terme) et la capacité
des Japonais à transformer en applications et produits des trouvailles
prometteuses d'où qu'elles viennent et qui, sinon, resteraient sur des
paillasses, inusitées. Toutefois gare, car les Japonais sont de plus en
plus forts également en recherche fondamentale et ils ont ainsi de plus
en plus le loisir d'exploiter à des fins industrielles leurs propres
découvertes.
Un exemple? Eh bien celui des nanotubes de carbone. C'est NEC lui-même
qui a mis en lumière cette structure et qui depuis pousse son avantage
pour l'utiliser dans divers produits, dont les composants électroniques.
Son compatriote Fujitsu aussi mise fortement sur le carbone sous toutes
ses formes moléculaires, à commencer par lesdits nanotubes, un matériau
qui, à en croire les Nippons, est pétri de qualités pour la
conductivité, la rapidité, le comportement à température élevée, on en
passe et des plus complexes à expliquer. Reste que toutes ces
caractéristiques étaient doctement argumentées au salon Nanotech, même
si la difficulté est de rendre attractif ce qui ne peut pas être vu, ou
seulement à travers des microscopes, comme des "micro-machines" (ou
micro-systèmes mécatroniques - MEMS) dont des minuscules piles à
combustible pour alimenter un circuit intégré.
Malgré tout, en cherchant bien, on trouve quelques applications plus
tangibles, directement issues des nanotechnologies. Exemple: un
bio-plastique (encore signé NEC) qui a des propriétés (de robustesse,
de flexibilité, de dureté, etc.) plus proches de celles des plastiques
issus d'hydrocarbures, ce qui permet d'étendre les usages potentiels de
ces nouveaux matériaux écolos, pour le plus grand bien de la planète.
Du côté de l'Organisation pour le développement des nouvelles énergies
et techniques industrielles (NEDO), on pousse à fond les recherches sur
les écrans "ultra-flexibles" en appliquant des techniques de
nano-impression sur des substrats malléables pour former la couche
transistorisée, les couches-filtres ou encore la couche de
rétroéclairage, le tout étant ensuite superposé tout en restant
archi-fin et souple. Il s'agit au final de créer réellement un écran
ayant la tenue d'un papier plastifié mais non rigide.
La création de nano-structures est un domaine dans lequel le Japon, qui
compte des champions des systèmes d'impression industriels (Toppan,
DNP, Epson, Brother, Canon, etc.), est apparemment l'un des pays les
plus en pointe, grâce à une expertise de longue date en matière de
composants miniatures, par exemple pour les imprimantes à jet d'encre.
Ces technologies de l'infiniment petit vont très loin qui permettront
par exemple de fabriquer... des coeurs humains, en imprimant des
couches de cellules vivantes. Le raisonnement est basique: un organe
n'est jamais qu'un assemblage très ordonné de cellules. Reste qu'il est
a priori difficile de le reproduire compte tenu de la taille minuscule
desdites cellules, de leur diversité, de leur nature vivante et de leur
positionnement complexe. Mais un chercheur japonais, Makoto Nakamura, a
découvert que les gouttes d'encre bombardées sur du papier par une
imprimante à jet avaient à peu près les mêmes dimensions que des
cellules, et que l'impression d'une photo en millions de couleurs
n'était pas moins compliquée.
D'où son idée originale de reproduire sur des milliers de couches
superposées le motif cellulaire d'un organe pour le reconstituer en
trois dimensions (3D), en exploitant la rapidité et la précision
inégalées des imprimantes à jet d'encre. "C'est comme construire un
gratte-ciel à une échelle microscopique en utilisant différents types
de cellules", sourit Makoto Nakamura. Pour connaître le motif à
répliquer, il suffit théoriquement de scinder un organe en deux
horizontalement pour en voir la coupe, c'est-à-dire la disposition
interne des cellules. Une imprimante est ensuite programmée pour
éjecter des cellules selon le même modèle cellulaire, en accumulant des
milliers de couches les unes sur les autres. L'imprimante "cellulaire",
déjà mise au point à partir d'un modèle à jet d'encre du marché, est
capable d'ajuster le tir avec une précision d'un millième de millimètre
et de construire un tube de cellules d'un centimètre et demi de haut en
une minute. Malin et sacrément prometteur.
Un autre exemple pour terminer ou presque, celui de nouveaux matériaux
photovoltaïques qui peuvent être déposés en couches ultra-minces sur
des supports très fins selon différentes formes complexes, comme des
feuilles de fausse plante (Mitsubishi), objet décoratif qui du coup
sert aussi de lampe alimentée par l'énergie solaire. Et des idées
lumineuses comme celles décrites ci-dessus, il y en a encore bien
d'autres en préparation. Allez, une dernière pour la route, la voiture
dont le pare-brise serait un plein écran et dont la carrosserie
changerait de couleur en fonction de la météo et de la température
extérieure ou générerait elle-même de l'électricité, pour minimiser la
consommation et la déperdition d'énergie.